Gaston Fébus : le prince du Béarn qui fixa son nom dans les pierres
par Eder de Pau — chronique d’un seigneur libre avant l’heure
On dit souvent qu’il faut un roi pour fonder une légende. Eh bien, au Béarn, on n’a pas attendu Henri IV : Gaston III de Foix-Béarn, alias Fébus, a planté la sienne dès le XIVᵉ siècle. Le genre de légende qui murmure encore quand on marche dans les ruelles de Pau.
Origines et héritage
Né le 30 avril 1331 à Orthez (probablement au château Moncade) dans une lignée mêlée de Foix et de Béarn, il devient très tôt comte de Foix et vicomte de Béarn à la mort de son père en 1343.
À sa prise de pouvoir, le Béarn est un territoire fragmenté, accroché entre les influences anglaises (via l’Aquitaine) et françaises. Fébus comprend vite que pour durer, il lui faudra jouer finement entre maîtres plus puissants.
C’est en 1347 qu’il pose un jalon décisif : il revendique pour le Béarn ce statut de principauté quasiment indépendante, affirmant qu’il ne le tient « de Dieu et de nul homme au monde ».
Cette proclamation marque l’apogée politique de son règne : il refuse de rendre hommage pour le Béarn aux rois de France ou aux rois d’Angleterre, même s’il fait parfois allégeance pour d’autres terres.
L’homme fort : stratégie, pouvoir et administration
Fébus est souvent qualifié de despote éclairé. Il n’aime pas trop déléguer le pouvoir : il écarte les grands seigneurs et centralise l’administration.
Il crée un conseil privé, nomme des lieutenants généraux (souvent des proches), et confisque les attributions judiciaires des institutions traditionnelles béarnaises.
En 1365, il lance une réformation : audit, révision des impôts, contrôle territorial. Il impose des péages, redéfinit les revenus forestiers et domaniaux, rationalise les droits.
Il frappe aussi sa propre monnaie — le florin en or — avec l’inscription “Febus comes”, et signe ses forteresses de sa devise : “Febus me fe” (Fébus m’a fait).
Militairement, il manœuvre avec adresse pendant la guerre de Cent Ans, entre France et Angleterre, évitant les engagements directs tout en affirmant sa souveraineté.
Le bâtisseur et mécène
Fébus ne se contente pas d’armes et d’impositions : il construit.
Plusieurs châteaux sont renforcés ou créés sur ses domaines pour asseoir sa défense — Pau, Montaner, Morlanne entre autres.
Au château de Pau, il ajoute un donjon en brique de 33 mètres de haut et signe la façade d’un fier “Febus me fe”.
Mais pour lui, la cour n’est pas que militaire : il aime la littérature, la langue d’oc, la poésie. Il compose des cansos, rédige un Livre des prières, et surtout le célèbre Livre de chasse, manuel illustré sur l’art cynégétique qui fit école dans toute l’Europe médiévale.
Sa cour accueille troubadours, musiciens et lettrés : un prince cultivé, aussi habile de la plume que de l’épée.
Crises et complots
Toutes les puissances suscitent des jalousies. En 1380, un complot éclate contre lui, mené par une partie de la noblesse locale et l’évêque de Lescar, lassés de son autorité sans partage.
La tension monte : la noblesse sent ses privilèges menacés, l’Église se méfie, et son entourage se délite.
Côté personnel, son fils unique, Gaston, entre en disgrâce. Accusé de tentative d’empoisonnement, il meurt tragiquement — certains diront de la main de son père.
Fébus meurt le 1er août 1391 à L’Hôpital-d’Orion, victime d’un malaise après une chasse. Une fin brutale, presque mythique, pour un seigneur qu’aucun ennemi n’avait pu abattre.
Héritage & influence
À sa mort, le Béarn entre dans une phase de transition : les États de Béarn se structurent, et Pau s’impose peu à peu comme capitale politique.
Fébus laisse derrière lui un territoire affermi, une identité béarnaise forte et un patrimoine encore visible dans ses forteresses.
Son empreinte dépasse les pierres : il a donné au Béarn son indépendance, sa fierté et sa langue.
Dans le château de Pau, son nom résonne toujours. Dans le cœur des Béarnais aussi.
Un prince, un poète, un symbole.
Sources principales :
– Histoire du Béarn (fr.wikipedia.org)
– Château de Pau – Collection Gaston Fébus (chateau-pau.fr)
– Gaston III de Foix-Béarn (en.wikipedia.org)
– Le Livre de Chasse – Bibliothèque nationale de France