Bayonne : la belle rivale, entre chocolat, batailles et bérets rouges
par Eder de Pau – chronique d’un Béarnais en territoire basque
Ah Bayonne… cette voisine fière, un brin bruyante, toujours en chemise rouge et foulard blanc, qui fait la fête quand Pau médite au balcon. Si Pau regarde les montagnes, Bayonne regarde la mer. Et quelque part entre les deux, on se taquine depuis mille ans, mais on ne se quitte jamais vraiment. Allez, je t’emmène faire un tour du côté de nos frères ennemis — ceux qu’on aime bien critiquer, surtout quand ils gagnent au rugby.
Un bastion avant la plage
Avant les surfeurs et les sandales en corde, Bayonne, c’était Lapurdum, un camp romain sur une colline, dressé là où la Nive et l’Adour se serrent la main avant de filer vers l’océan. Stratégique ? Pas qu’un peu. Dès le IVᵉ siècle, les Romains y montent des murs, histoire de contrôler le passage entre Gascogne et Hispanie. C’est le premier chapitre d’une longue saga de bastions, remparts et coups de gueule.
Quand le Béarn commençait à forger sa liberté, Bayonne, elle, s’armait pour la garder. Deux tempéraments, deux fiertés — on ne s’invente pas.
L’âge d’or anglais (et un soupçon de jalousie paloise)
Au XIIᵉ siècle, une certaine Aliénor d’Aquitaine épouse Henri Plantagenêt, futur roi d’Angleterre, et la voilà anglaise pour trois siècles. Bayonne devient port royal, riche et remuante. Les navires partent chargés de vin gascon, de bois, de cuir ; ils reviennent remplis de tissus, de denrées, et d’une assurance à toute épreuve.
Pendant ce temps, à Pau, on comptait nos moutons.
Bayonne, c’était Londres sur Adour : des privilèges, une charte communale dès 1215, une marine marchande active. Bref, une ville libre avant l’heure. Et quand Fébus faisait trembler les vallées, Bayonne commerçait avec les rois. Deux écoles : l’épée d’un côté, la boussole de l’autre.
Quand la France reprend la main
En 1451, les troupes françaises reprennent la cité après la Guerre de Cent Ans. Fin de la parenthèse anglaise. Bayonne reste prospère, mais le vent tourne : l’Adour s’ensable, le port décline, et la mer se retire peu à peu.
Heureusement, l’esprit bayonnais, lui, ne se laisse pas ensabler. De nouveaux venus relancent la flamme : les juifs séfarades chassés d’Espagne s’installent dans le quartier de Saint-Esprit. Avec eux arrive une invention miraculeuse : le chocolat à boire.
Pendant que Pau gardait sa garbure, Bayonne découvrait le cacao. Autant dire qu’on a vite trouvé une raison de traverser le gave de temps en temps.
De Vauban à Napoléon : des canons, des murs et des histoires
Au XVIIᵉ siècle, Vauban renforce la ville. Les remparts font de Bayonne une forteresse moderne : bastions, courtines, poudrières… tout y passe. Et comme toujours ici, les pierres ne sont pas que des murs : elles sont un tempérament.
Au XIXᵉ siècle, Napoléon Iᵉʳ y séjourne avant d’envoyer ses troupes vers l’Espagne. Les guerres, les échanges, la contrebande : Bayonne reste une porte, parfois ouverte, parfois verrouillée, mais jamais silencieuse.
Quand le chemin de fer arrive en 1855, la ville s’ouvre au monde moderne. On dit même que certains Palois prenaient le train “pour voir la mer” — le voyage d’aventure du dimanche.
La ville aux mille saveurs
Bayonne, c’est une odeur : celle du jambon fumé, des épices et du chocolat. Trois produits, trois fiertés.
Le jambon ? Salé à la main, séché au vent de la Nive, dégusté au marché des Halles.
Le chocolat ? Hérité des familles juives du XVIIᵉ siècle, il a fait de Bayonne la capitale française du chocolat bien avant Paris.
Et puis le piment : d’Espelette, évidemment. Car ici, on aime relever le goût — et la conversation.
Fêtes, ferveur et foulards rouges
Depuis 1932, les Fêtes de Bayonne transforment la ville chaque été en marée humaine rouge et blanche. Cinq jours de liesse, de tambours, de géants, de musiques et de verre levé.
Les Palois y vont parfois — incognito, faut pas pousser — mais ils y vont.
On dit que si Pau contemple, Bayonne exulte. C’est vrai : là-bas, on vit fort, on rit fort, on chante fort. Un trait de caractère qu’on admire autant qu’on redoute.
Une capitale basque… et un cœur gascon
Il faut le dire : Bayonne, c’est à la fois basque, gasconne et atlantique. Trois âmes dans un même corps.
Les maisons à colombages rappellent l’influence landaise ; les remparts et la cathédrale Sainte-Marie disent la foi médiévale ; les halles et les quais bruissent de cette identité multiple.
Et si la ville s’affirme aujourd’hui comme la “capitale du Pays basque nord”, elle garde une part de Gascogne dans ses expressions, son accent et son hospitalité. On peut chambrer, mais on parle un peu la même langue : celle du Sud-Ouest, chaude, directe et rieuse.
De la forteresse au symbole
Bayonne a connu mille transformations :
- Ville anglaise, puis française,
- Port commercial, puis bastion militaire,
- Cité religieuse, puis festive.
Chaque époque y a laissé sa couche, comme les strates d’un mille-feuille architectural.
Aujourd’hui, ses remparts de Vauban sont classés à l’UNESCO, sa cathédrale gothique Sainte-Marie brille parmi les étapes du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, et son centre historique attire artistes, curieux et gourmands.
Pau a ses Pyrénées ; Bayonne, elle, a son océan — et les deux se partagent le même ciel.
Ce que j’en pense, moi, Eder de Pau
On peut bien se chambrer, mais il faut le reconnaître : Bayonne, c’est une grande dame du Sud-Ouest. Elle a connu les rois, les marchands, les guerres, les fêtes et les saveurs. Elle s’est battue, elle s’est réinventée, elle a survécu à l’ensablement et aux frontières.
Alors oui, parfois, elle fait un peu de bruit. Mais au fond, ce vacarme-là, c’est celui de la vie. Et nous, Palois, on a beau préférer le calme des cèdres, on sait qu’il suffit d’une heure de route pour aller goûter à ce tumulte savoureux.
Et si, un jour, Bayonne voulait bien reconnaître que le boulevard des Pyrénées est plus beau que toutes ses plages… alors peut-être qu’on trinquerait ensemble, au Jurançon et au chocolat chaud.